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2003 11 29 * Colloque International de la Laïcité Bordeaux/Artigues * Le néotemporalisme du Vatican.De l'article 51 aux racines chrétiennes dans la Constitution européenne. * Maurizio Turco

Colloque International de la Laïcité
Laïcité, une idée européenne
Organisé par le Comité Laïcité République 
Bordeaux/Artigues  - Samedi 29 et Dimanche 30 novembre 2003

Le néotemporalisme du Vatican.
De l'article 51 aux racines chrétiennes
dans la Constitution européenne.

 

de Maurizio Turco

Président des députés radicaux de la Lista Emma Bonino au Parlement européen


Comme vous le savez, le débat sur la mention des "racines chrétiennes" dans le préambule du projet de Traité Constitutionnel de l'UE a focalisé - et continue à focaliser - l'attention politique et médiatique.

Pour ma part, je pense qu'une Constitution a un autre objectif que celui de synthétiser en quelques lignes une histoire, qu'elle soit politique, géographique ou culturelle. Ensuite, revendiquer la mention de l'héritage religieux comme source fondamentale exemplaire de l'identité européenne témoigne d'une mémoire sélective. S'il s'agit de reconnaître l'"héritage religieux" dans la construction pluriséculaire de l'Europe, alors on ne peut méconnaître sa complexité voir son ambiguïté. Devons-nous oublier que notre continent a été ravagé par des guerres confessionnelles. De même, l'"héritage chrétien" dont peut se targuer l'Europe est aussi celui des autodafés et des condamnations au bûcher de l'Inquisition, du Bref Quod Aliquantum par lequel Pie VI condamna les Droits de l'homme, du Syllabus par lequel Pie IX s'opposa à la liberté, au droit, à la démocratie, et à la pratique religieuse libre et responsable, sans oublier les positions réitérées de Jean-Paul II à l'encontre du libéralisme, de la liberté de recherche scientifique et d'une sexualité libre et responsable.

Mais je ne veux pas m'attarder sur cet aspect. Pour moi, il apparaît clairement que cette focalisation sur les revendications d'ordre spirituel des Eglises protestantes et catholiques a servi d'écran de fumée pour occulter l'offensive que ces dernières ont conduit également en faveur de la reconnaissance d'une fonction institutionnelle dans l'UE et de garanties juridiques préservant les statuts privilégiés dont elles jouissent au niveau national.

En effet, la deuxième revendication, davantage politique et matérielle que spirituelle, a été pleinement exaucée avec l'article 51 du projet de Constitution européenne relatif aux statuts des Eglises et des organisations confessionnelles, élaboré par la Convention. Pour votre information, le texte de l'article 51, dans sa terminologie et sa structure, correspond quasiment, mot pour mot, à la contribution envoyée par la COMECE (La Commission des Episcopats de la Communauté européenne) à la Convention européenne.

A la lumière du contenu de cet article, on peut affirmer que le projet de Constitution européenne contredit le principe laïc de séparation entre institutions publiques et institutions religieuses qui est un principe fondamental et structurateur de la démocratie. Autrement dit, sans référence explicite aux racines chrétiennes, le projet de Constitution donne déjà l'apparence d'une confessionnalisation de l'Europe.

Voyons pourquoi?

1. Premièrement, en rendant juridiquement contraignant le contenu de la Déclaration n° 11 annexée au Traité d'Amsterdam, les deux premiers paragraphes de l'article 51 interdisent à l'Union d'examiner ou de remettre en cause la situation des églises dans les États membres. Ce qui signifie que et article garantit la pérennité des privilèges acquis par les institutions religieuses au niveau national, empêchant toute vérification de leur compatibilité avec les droits et les libertés fondamentaux des citoyens européens ainsi qu'avec les politiques et le droit de l'Union.

Ce sont des positions de privilège juridique dont jouit, en particulier, l'Eglise catholique, dans sa double qualité de confession religieuse et d'Etat souverain, grâce aux concordats stipulés avec certains Etats nationaux. Des concordats qui furent signés entre l'Eglise catholique et Franco en Espagne, Mussolini en Italie, Salazar au Portugal et Hitler en Allemagne.

C'est ainsi qu'en Allemagne, même les travailleurs et les chômeurs sans confession sont soumis à l'impôt ecclésiastique.

C'est ainsi qu'en Espagne et au Portugal, l'Eglise catholique bénéficie de l'exemption de TVA - outre un financement public garanti plantureux en Espagne - en violation manifeste de l'article 13 de la Directive européenne sur la TVA qui ne prévoit pas une telle exemption en faveur des institutions religieuses. Le droit communautaire se trouve ainsi bafoué au nom du bon maintien des relations entre les Etats membres et le Saint Siège.

2. Deuxièmement, cet article oblige a priori l'Union européenne à un dialogue régulier avec les institutions religieuses en reconnaissance de leur identité et de leur contribution spécifiques. En contradiction patente avec le principe de séparation entre institutions publiques et institutions religieuses, les Églises se voient donc reconnaître un droit d'ingérence dans l'exercice des pouvoirs publics européens. Au nom de ce dialogue structuré, le risque est grand de voir institutionnalisée l'influence obscurantiste de l'Eglise catholique en matière éthique et scientifique. Par exemple, au nom de ce dialogue, devrons-nous accepter que l’Église catholique parvienne à faire interdire la recherche scientifique utilisant des embryons humains privant ainsi des millions de malades de possibilités de soins?

De même, maintenir un dialogue avec une institution dont l'organisation est opaque reviendrait à lui reconnaître une influence institutionnelle on ne peut plus contestable. Je pense en particulier à l'Etat de la Cité du Vatican qui, à mes yeux, représente un véritable "Etat canaille". Savez vous qu'en tant qu'Etat souverain (Etat de la Cité du Vatican), l'Eglise Catholique jouit, entre autres, de la possibilité d'importer des biens provenant de l'Union qui jouissent d'aides à l'importation et de la possibilité de battre monnaie (l'Euro), alors qu'il n'a pas adopté de loi antiblanchiment et que sa "banque centrale" - l'Institut pour les oeuvres de religion - n'adhère à aucun organisme international de contrôle  et n'est donc pas soumise aux contrôles et aux vérifications auxquels sont soumises toutes les banques centrales des pays membres. Ce qui fait de cet Etat une centrale de blanchiment "potentielle" de l'argent sale en Europe. Eventualité qui n'est pas seulement théorique et qui, grâce au Concordat stipulé avec l'Etat Italien, n'est même pas susceptible d'être soumise à la justice des hommes étant donné que le Vatican jouit d'une immunité illimitée.

 

En bref, grâce à l'article 51, les Églises pourront tantôt invoquer les compétences de l'Union pour jouir d'un statut institutionnel, tantôt les législations nationales pour échapper aux obligations juridiques de l'Union. Vous conviendrez tout comme moi que cela ne peut pas contribuer au renforcement de la sécurité juridique.

L'ex-Président de la Commission européenne et actuel eurodéputé démocrate-chrétien Jacques Santer, lui-même, s'était opposé, au nom du gouvernement luxembourgeois, à cet article en raison de sa terminologie inappropriée pour un texte constitutionnel et susceptible de faire naître de multiples controverses juridiques.

Enfin, on ne peut justifier la présence de cette disposition juridique spécifique au nom du respect de la liberté d'organisation et d'action des institutions religieuses. Comme le faisait remarquer le Ministre belge des Affaires étrangères Louis Michel, leur liberté de s'organiser et d'agir est déjà couverte par l'article 10 de la Charte des droits fondamentaux et la possibilité d'un dialogue avec l'Union est, quant à elle, couverte par la formulation générale de l'article 46 relatif aux associations représentatives et à la société civile.

Que Faire?

Les représentants des chefs d'Etat et de gouvernement de la France, de la Belgique, du Luxembourg et de la Suède au sein de la Convention avaient déposé un amendement visant à la suppression de cet article.

En qualité de promoteur d'une proposition de résolution pour une Constitution européenne laïque signée par 257 parlementaires européens et soutenue par 320 députés nationaux des 15 Etats membres de l'UE, j'ai sollicité ces quatre pays à se montrer cohérents avec la position prise par leurs représentants au sein de la Convention et à demander le retrait de cette disposition - en usant de leur droit de veto - pendant les négociations de la Conférence Intergouvernementale.

A ce jour, seul le gouvernement belge, à travers le Vice-premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères Louis Michel, a répondu positivement à cette sollicitation et a donné une suite concrète à l'engagement qu'il m'avait communiqué dans un courrier daté du 6 octobre dernier. En effet, nous avons pris acte récemment de l'introduction par le Gouvernement belge d'un amendement au projet de Traité constitutionnel de l'UE visant à la suppression de l'article 51.

Tout en prenant acte, avec satisfaction, du dépôt d'un amendement suppressif, nous réitérons notre sollicitation au gouvernement belge de demander le retrait de l'article 51 en usant de son droit de veto lors de la Conférence Intergouvernementale.

Quant à la France, les réponses reçues de la part des ses plus hauts représentants me conduisent à penser que pour les représentants de ce pays la notion de laïcité est davantage virtuelle que réelle et pratique. On connaît la position affichée par le Président de la République Jacques Chirac, en tant que représentant d'un Etat laïc, contraire à l'idée d'une référence religieuse dans la future Constitution de l'Union européenne. Mais pas un mot sur l'article 51 ! Quant au Premier Ministre Raffarin, sa réponse (datant du 27 octobre) fut la suivante: "la rédaction de cet article (...) résulte de longs débats qui ont eu lieu à la Convention et il ne paraît pas possible de revenir sur cette disposition".

A l'évidence, les premiers ministres français n'ont pas toujours été aussi enclin à s'agenouiller pieusement devant les revendications temporelles des églises. Je tiens à clôturer mon intervention en rappelant un extrait du discours prononcé à la Chambre, le 22 octobre 1904, par Emile Combes, alors Président du Conseil et Ministre de l'Intérieur et des cultes: "Après avoir asservi l'Eglise, le Vatican aspire publiquement à asservir l'Etat". Ceci est vrai aujourd'hui autant qu'hier et l'Europe a besoin, aujourd'hui plus que jamais, de son "Combes".